L’impact lié à une augmentation de l’abondance d’une espèce exotique envahissante sur les communautés d’espèces natives dépend de sa position au sein du réseau trophique. Ainsi, les espèces exotiques envahissantes provenant des niveaux trophiques supérieurs (prédateurs et consommateurs principalement) ont un impact négatif non linéaire sur les communautés d’espèces natives des niveaux sous-jacents, de telle sorte que l’impact est plus important au départ de l’invasion. A l’inverse, à niveau trophique équivalent, l’impact d’une augmentation de l’abondance de l’espèce exotique sera négatif mais linéaire, de telle sorte que l’intensité de l’impact restera la même quel que soit le niveau de l’invasion. Ces résultats, ré-affirmant l’importance d’une détection rapide des processus d’invasion biologique, voir même anticipée dans le cas d’espèces exotiques envahissantes provenant des niveaux trophiques supérieurs, ont été publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) le 29 Avril 2019.
L’introduction, l’installation et la colonisation des espèces exotiques envahissantes au sein des écosystèmes impliquent des enjeux majeurs en termes de santé publique, de biodiversité et de biologie de la conservation. Une détection précoce, voir anticipée, des foyers d’invasion est primordiale pour lutter contre les effets potentiellement néfastes des espèces exotiques envahissantes. Jusqu’ici, la plupart des méta-analyses sur les invasions biologiques ont montré que la présence d’espèces exotiques envahissantes avait un impact globalement négatif sur les écosystèmes. Néanmoins, aucune de ces méta-analyses n’a quantifié la dynamique de l’impact lié à une augmentation de l’abondance en espèces exotiques envahissantes sur les communautés d’espèces natives : à savoir si cette dynamique est linéaire, c’est à dire que l’impact lié à l’augmentation d’une unité d’abondance est constamment le même quel que soit le niveau d’abondance, ou non linéaire, c’est-à-dire que l’intensité de l’impact lié à l’augmentation d’une unité d’abondance varie suivant le niveau d’abondance.
Ce constat a émergé en 2015 à la suite d’un brainstorming organisé par Cascade Sorte de l’Université de Californie à Irvine (USA) qui avait obtenue un financement de la Fondation Albert et Elaine Borchard dédiée à la promotion de la recherche et de l’éducation. Dans ce cadre, nous avions effectué une retraite scientifique sur le thème des espèces exotiques envahissantes dans le magnifique domaine du Château de la Bretesche. Inspirée par le cadre et l’atmosphère du domaine, Bethany Bradley de l’Université du Massachusetts à Amherst (USA) a proposée de former un groupe de travail dont le but était de réaliser une méta-analyse sur la forme de la relation entre impact, que ce soit à l’échelle d’une espèce native ou à l’échelle de l’ensemble de la communauté d’espèces natives, et abondance en espèces exotiques envahissantes.
Après plusieurs années de labeur et plusieurs rencontres intermédiaires à Cornwall (printemps 2016), Séville (printemps 2017) et Amherst (été 2018), la base de données contenant 1258 cas d’étude issus de 201 publications scientifiques (voir cartes ci-dessous) était mûre pour l’analyse.
Les résultats de celle-ci montrent que le caractère linéaire ou non de cette relation entre abondance d’une espèce exotique envahissante et son impact sur les espèces ou les communautés d’espèces natives dépend de la position trophique relative entre l’envahisseur et les résidants. Lorsque l’espèce exotique envahissante provient des niveaux trophiques supérieurs, comme dans une relation verticale de type proies-prédateur avec dans le rôle du prédateur l’espèce exotique envahissante, c’est au départ de l’invasion, lorsque l’abondance de l’espèce exotique est relativement faible, qu’une faible augmentation de son abondance aura l’impact le plus fort et le plus négatif sur le réseaux d’espèces natives jouent le rôle de proies. Une faible quantité d’individus peut avoir un effet dévastateur sur la ressource consommée et lorsque le nombre d’individus a atteint un niveau supérieur, alors l’impact sur les communautés d’espèces natives est relativement faible du fait que la ressource consommée s’est raréfiée. Lorsque la relation trophique entre espèces exotiques envahissantes et espèces natives est horizontale, comme dans une relation de compétition par exemple, l’augmentation de l’abondance de l’espèce exotique envahissante aura le même impact sur la communauté d’espèces natives et ce que le niveau de l’invasion soit précoce ou avancé.
En gros, cela suggère que dans le cas des relations trophiques verticales, seule la détection précoce, voir anticipée, de l’espèce exotique envahissante, permet d’endiguer le processus d’invasion et éviter les effets néfastes de celle-ci. Dans ce cas précis, l’anticipation et la prévention sont les maîtres-mots. A l’inverse, dans une relation de type horizontale, c’est-à-dire à niveau trophique équivalent, les moyens mis en œuvre pour limiter ou endiguer l’invasion pourront s’avérer payant, même après installation et expansion de l’espèce exotique envahissante. Quoiqu’il en soit, une stratégie basée sur la détection anticipée ou précoce sera toujours la stratégie la plus efficace. Dans ce cadre, les techniques de télédétection par satellites ou aéroportée procurent un système de surveillance et d’alerte adéquat et opérationnel pour anticiper ou détecter de manière précoce les foyers d’invasions.
Bradley et al. (2019) Disentangling the abundance-impact relationship for invasive species. The Proceedings of the National Academy of Sciences
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