Invasions Biologiques aux Antipodes Subpolaires des Hémisphères Nord et Sud

Dans la communauté scientifique, l’étage montagnard alpin et les zones froides subpolaires sont considérées comme moins affectées par les espèces exotiques envahissantes. Toutefois, cela pourrait changer brusquement sous les scénarios de changements climatiques futurs (cf. réchauffement) et l’augmentation des activités humaines (cf. activités de récréation) dans ces écosystèmes jugés plus difficile d’accès.

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Vue sur les montagnes d’Abisko au Nord de la Suède (Crédit photo : Ive Van Krunkelsven)

Au cours de ces trois dernières années, j’ai eu la chance de pouvoir travailler aux côtés d’Ann Milbau, d’Anibal Pauchard, de Martín Nuñez et de Jonas Lembrechts sur un projet de recherche financé par la Suède (voir page 20 de ce document rédigé en suédois) et dont l’objectif était précisément de s’intéresser aux principaux déterminants du succès d’invasion des plantes exotiques envahissantes dans ces écosystèmes froids et extrêmes situés à haute latitude et à haute altitude. Suite à de multiples réunions de travail en Suède, en Argentine et en France associées à de nombreux échanges par email pour mettre au point le protocole, discuter des analyses et des résultats, échanger nos points de vues vis-à-vis des hypothèses préalablement posées, rédiger un article scientifique, et enfin répondre aux commentaires et critiques aiguisées de nos pairs, ces travaux ont été récemment publiés dans la revue Proceeding of the National Academy of Science (PNAS, USA).

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Jonas Lembrechts récolte les précieuses données (Crédit photo : Ive Van Krunkelsven)

Le résultat est clair, les perturbations d’origine anthropique telles que les sentiers empruntés par les randonneurs en été et les skieurs en hiver sont la clé pour assurer le transport, la germination, la croissance, la floraison et donc l’installation des plantes exotiques envahissantes dans ces territoires reculés et encore immaculés en matière d’invasions biologiques. En l’absence de telles perturbations, ni l’augmentation des températures liée au réchauffement planétaire, ni l’apport d’azote lié à la pollution atmosphérique, ni la pression de propagules exercée par les randonneurs qui transportent les graines sous les semelles de leurs chaussures ne permettent un succès suffisant pour l’installation de ces plantes exotiques envahissantes.

ezgif-com-gif-makerPour arriver à ce résultat, un dispositif expérimental unique en son genre a été mis en place le long de plusieurs gradients d’altitudes situés dans des massifs montagneux à l’extrême nord de la Scandinavie, à Abisko en Suède, et à l’extrême sud de la Pantagonie, à Punta Arena au Chili, couvrant ainsi les antipodes subpolaires des hémisphères Nord et Sud. Au sein de ce dispositif, nous avons fait varier plusieurs facteurs, en plus de la température via l’altitude, comme la présence ou non d’une perturbation (cf. retrait de la végétation native : D+ vs. D-), l’apport ou non de nutriments azotés (cf. engrais : N+ vs. N-) ainsi que l’intensité de la pression de propagules (cf. nombre de graines : P+ vs. P-) de 6 plantes exotiques envahissantes. Chaque placette a été subdivisée en 48 unités, soit 6 répétitions (1 par espèce) pour chacune des 8 combinaisons des facteurs D, N et P (D+/N+/P+, D+/N+/P-, D+/N-/P+; D-/N+/P+, D-/N-/P+, D+/N-/P-, D-/N+/P-, D-/P-/N-).

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Vue sur l’une des nombreuses placettes du dispositif (Crédit photo : Ive Van Krunkelsven)

La conclusion principale issue de ces travaux est qu’il est primordial de limiter et confiner au maximum le niveau des perturbations d’origine anthropique, au risque de voir la végétation de ces écosystèmes complètement modifiée par l’installation et la propagation d’espèces exotiques envahissantes. Le risque est d’autant plus important que l’effet des activités humaines sera combiné au réchauffement climatique actuel et futur. Il semble donc impératif de mettre en œuvre rapidement des stratégies de gestion de ces écosystèmes en limitant les perturbations humaines à hautes latitudes et altitudes, pour limiter le risque d’invasions par les plantes exotiques envahissantes.

Pour une version en anglais, rédigée et illustrée par le premier auteur de l’étude, Jonas Lembrechts, c’est ici. Vous trouverez également un communiqué de presse sur le site l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV) ainsi que sur le site echosciences des Hauts-de-France.